Parler de l’autre, c’est parler de soi…

9, Juil 2024 | Retour d'expérience

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Rapidement lorsque quelqu’un nous parle d’une tierce personne, les opinions voire les jugements arrivent vite. Il n’est pas sérieux ou elle est trop stricte, parfois plus positivement, elle est fiable. Bien évidemment, ces qualifications ne sont en aucun cas des vérités. La personne qui les émet nous livre de précieux renseignements sur sa personnalité, son mode de fonctionnement ou ses valeurs.

Si cette personne souligne ces caractéristiques, c’est qu’elle y est sensible. Si elle semble quantifier cette qualité (trop, pas assez, peu…), elle ne nous dit pas grand chose sur la personne décrite, mais nous renseigne en fait sur sa perception du positionnement relatif de l’autre par rapport à elle-même. Ce trop strict renvoie à un référentiel implicite : trop par rapport à quoi ? A la situation, peut-être, à sa manière d’être ou de faire, souvent ! Si nous n’y prenons garde, nous devenons auto-référent et nous nous mettons au centre du jeu, en étalon universel des qualités humaines !

Les tests de personnalité apportent une explication. Le principe de ces tests est le suivant : en répondant à de multiples questions, la personne se positionne dans de multiples dimensions constituant autant d’axes. Ces résultats sont comparés à un échantillon de plusieurs milliers voire dizaines de milliers de personnes. Cet échantillon se répartit selon une loi normale (comme souvent l’était la répartition des notes en classe). Dans l’exemple de la “circonspection” (test SOSIE) définie comme la capacité de prise de recul, la répartition des répondants oscille entre prudence et prise de risque. Il n’y a bien sûr pas de bon profil, mais des fonctionnement adaptés à des situations, des métiers. Si vous êtes un peu plus du côté fort de la circonspection, vous êtes plutôt prudent, si votre circonspection est plus faible, vous avez davantage le goût du risque. En termes de fonctionnement humain, la masse fait la norme (il s’agit d’ailleurs d’une courbe de “loi normale”). Dès, lors si vous êtes positionné autour de l’axe, votre fonctionnement se fond dans la masse. Si vous êtes davantage vers une extrémité, cette caractéristique est moins répandue, est donc plus remarquable et probablement plus remarquée par votre entourage : elle va davantage caractériser votre mode de fonctionnement et a de fortes chances de ne pas laisser indifférents les autres car parfois perçue comme excessive (voir l’article le Quadrant d’Ofman).

A force de pratiquer ces tests et d’en avoir débriefé des centaines, je constate bien souvent le mécanisme suivant qui va dans le sens de cette tendance à l’auto-référence. Le test SOSIE, qui comprend une vingtaine d’axes, a toutes les chances de révéler un ou deux axes (et plus parfois) pour lesquels un individu se situe à l’un des deux extrêmes de la courbe (6% les plus forts ou 6% les plus faibles). Lors du débriefing, bien souvent la personne a conscience de cette caractéristique et peut par exemple affirmer : je suis en effet quelqu’un de plutôt prudent. Mais elle n’imagine que très rarement à quel point elle se positionne dans les 95% les plus marqués sur ce critère. Spontanément, elle se positionnerait plutôt autour de 70%. Ainsi, dans cet exemple, si nous avons tendance à qualifier beaucoup de gens d’impulsifs ou d’inconséquents, il y a des chances que ce soit nous qui soyons en fait particulièrement prudent ! L’enfer, c’est les autres, disait JPS !

En management, ce mécanisme est délétère, dans la mesure où, si le manager ne prend pas soin de poser un référentiel et de le partager, il risque d’apprécier le travail et les comportements à l’aune de sa personnalité, se laissant aller à des préférences personnelles, des modes opératoires qu’il a éprouvés. Résultat : sentiment d’injustice des collaborateurs, favoritisme, difficulté à déléguer…

Pour cela, poser le cadre, c’est à dire partager sur les attentes du métier, fixer des objectifs clairement compris, permet de rendre prévisible et donc sécurisant le comportement du manager. Les collaborateurs savent ce qui est attendu d’eux, leur travail est évalué selon un référentiel partagé et ils peuvent ainsi apprécier leur propre travail au regard des attendus bien compris. De plus, cela cantonne le manager à sa sphère de responsabilité : le travail, c’est à dire les comportements professionnels mis en oeuvre et le résultat produit. Cela lui évite l’écueil de glisser du côté de la personnalité en émettant des jugements de valeur. Il peut factuellement se référer au cadre partagé au préalable. Ainsi les collaborateurs peuvent davantage prendre des initiatives pourvu que le cadre soit respecté, sans peur d’être personnellement jugés. C’est ce qui s’appelle l’autonomie.


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