Le choix du manager

21, Mai 2022 | Retour d'expérience

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Lors de nos formations de management, un exercice est proposé dans lequel un manager doit réaliser un choix afin de renouveler un équipement définitivement hors service, choix parmi trois modèles de machines. Ce manager encadre deux équipes elles-mêmes supervisées par deux responsables, sous l’autorité directe de ce manager.

Un des participants tient le rôle du manager, deux autres ceux des chefs d’équipe, les autres ceux des équipiers. Les participants reçoivent des cartes spécifiant leur rôle et des informations relatives à la situation. Ces informations peuvent différer, mais ne sont en aucun cas incohérentes. Elles sont constituées de faits et d’opinions, selon la fonction de la personne.

Cet exercice réalisé une petite centaine de fois a fait émerger dans 45% des cas, le choix de la machine A, dans 22% celui de la B et dans 33% celui de la C. Des mêmes informations ne font donc pas aboutir au même choix.

Plus étonnant, cet exercice est réalisé deux fois par chacun des groupes en redistribuant les rôles (cartes) et donc les informations. Dans 47% des cas, les deux choix différent bien que les personnes et les informations soient les mêmes puisque les mêmes cartes sont redistribuées. Et dans l’autre moitié des cas où le choix reste identique, bien souvent les chemins empruntés différent largement.

Prendre conscience qu’à partir de mêmes informations, la décision prise peut différer peut être assez troublant et remet en cause l’espoir de réaliser le bon choix !

L’observation de cet exercice nous permet d’identifier certains éléments qui influencent directement le choix du manager

La collecte d’informations. Certains managers vont au contact des équipes, d’autres délèguent cette phase aux chefs d’équipe, leur demandant de reporter. D’autres enfin sollicitent directement les chefs d’équipe, sans consigne particulière, ces derniers décidant en amont d’échanger avec leurs équipes ou non.

Le manager peut alors recueillir des éléments de nature très diverses : des informations factuelles, des opinions sous forme d’analyses ou d’avis s’appuyant sur des informations sélectionnées consciemment ou non. Les avis peuvent aussi concerner la situation ou prendre la forme d’une suggestion de solution…

C’est lors de la deuxième réalisation de l’exercice que certains participants se rendent compte à quel point certaines informations qu’ils découvrent dans leur nouveau rôle ou qui sont portées à leur connaissance par leurs collègues, n’ont absolument pas émergé lors de la première réalisation.

Cadrer cette phase est essentiel, nous y reviendrons.

L’engagement et le tempérament des équipiers – et du manager. Une même information pourra être affirmée avec plus ou moins d’ardeur par un participant ou par un autre, reflétant les différents tempéraments ou parfois l’état de forme du moment des équipiers. En cas de désaccord, certains s’engagent, d’autres « laissent couler », certains se focalisent plus sur leur intérêt premier, d’autres manifestent une conscience plus large.

Cela renforce la nécessité pour le manager d’aller chercher l’information, d’être curieux, de solliciter les personnes réservées –aucune corrélation n’existant entre la compétence / la pertinence de propos et la capacité à les exprimer.

Bien évidemment le manager lui-même sera plus ou moins sensible à une formation, un argument, une solution en fonction de sa personnalité. Cela influencera également son approche, plus ou moins en concertation.

Le processus de décision. Il est important de distinguer ce mécanisme de la collecte d’information pour mieux expliquer aux équipes l’objet de leur sollicitation : recueillir des informations ou des avis ? Cette confusion peut générer beaucoup de frustration chez les équipes.

En effet, nous observons dans la plupart des cas, deux schémas décisionnels. Soit le manager prend un moment de recul après la concertation, puis annonce son choix,  soit il prend la décision au cours d’un échange avec les deux chefs d’équipe. La décision a également pu être réduite certaines fois à un vote sur le choix de la machine organisé par le manager auprès de l’ensemble de ses équipes

Dans ce cas d’un vote, plusieurs réflexions :

  • Les équipiers risquent de se focaliser sur les meilleures solutions techniques, en lien avec leurs compétences et responsabilités, négligeant d’autres dimensions. La machine choisie sera au top de la technique – est-ce économiquement viable ? le client est-il en attente d’une telle qualité ? est-il prêt à y mettre le prix ?…   Dans les entreprises en cogestion, l’ensemble des salariés dispose d’informations voire de formations au-delà de leur métier pour prendre des décisions éclairées par leurs connaissance du fonctionnement général de l’entreprise dans son environnement. Le risque du vote : que l’intérêt de groupe, voire les intérêts individuels guide les votes
  • En cas de vote, le résultat s’impose au manager, sous peine de démotivation de ses subordonnés. Or le manager reste responsable de ce choix et de ses conséquences au regard de sa hiérarchie, puisqu’il est libre du processus de décision. En aucun cas il ne pourra se cacher derrière ce vote en cas de reproche de la hiérarchie « oui mais c’est ce que voulaient les équipes », sauf à se déresponsabiliser. Il n’a plus qu’à endosser le choix et le faire sien.

On le voit, la décision est intrinsèquement liée au périmètre de responsabilité du manager. Son rôle est de décider. Qu’il décide seul ou en concertation, voire de façon collégiale, la décision résultante sera la sienne soit parce qu’il l’aura prise ou soit qu’il l’aura fait sienne (il est alors convaincu).

Pour éviter toute frustration dans l’équipe, poser le cadre de l’éventuelle concertation est primordial. Le manager doit alors préciser s’il :

  1. cherche des informations sur la situation et dans ce cas il demandera des éléments factuels
  2. a besoin de savoir ce que chacun pense de la situation, et dans ce cas il demandera des avis sur la situation, en complément des informations du point précédent
  3. recherche –au-delà des avis sur la situation- des idées de solutions. Il invitera à les exprimer dans un second temps. Il précisera ben qu’il sollicite pour avis et qu’il garde la décision finale

Dans ces trois cas, le manager garde donc la prérogative de la décision, éclairé par les informations, les avis sur la situation, voire les suggestions de solutions de ses collaborateurs. Il sera alors conseillé de prendre un temps de recul pour mieux choisir et annoncer ensuite sa décision. Le processus étant clair (et respecté), voire rendu visible par le temps de réflexion du manager, il ne génère pas de surprise et donc moins de frustration.

Le manager peut aussi décider de mettre en place un processus de décision collégial, qui peut être réservé à certains sujets. Pour cela, il doit avoir une grande confiance dans la compétence et dans le sens du bien commun de ses collaborateurs. La décision est alors entérinée en séance. A noter que c’est le fonctionnement cible pour certains sujet d’un comité de direction, sous peine d’en faire une chambre d’enregistrement des décisions du patron !

Ainsi, lorsqu’il prend avis auprès de son équipe, le manager doit véritablement sonder la sincérité de sa démarche notamment s’il a déjà une opinion vis-à-vis de la situation et de la solution : suis-je sincèrement prêt à changer d’avis ? Cela ne veut pas dire qu’il le fera, mais il reste ouvert à cette possibilité en fonction des éléments entendus. Dans le cas contraire, il sera perçu comme plus franc et fiable s’il prend sa décision de façon directive, plutôt que de donner un sentiment de manipulation à travers ce qui sera perçu comme une fausse concertation.

En synthèse, que faire pour mieux décider en situation de management ?

  1. Etre conscient que toute décision a une part de subjectivité – avoir cette conscience permet d’en réduire la part et de l’accepter
  2. Aller chercher l’information, c’est-à-dire être curieux et faire aussi parler les personnes réservées
  3. Choisir le niveau d’implication de l’équipe– ai-je besoin d’informations sur la situation, d’avis sur la situation, de suggestions de solutions ?
  4. Choisir le processus de décision- directif ou collégial- en fonction de la maturité de l’équipe (conscience de l’intérêt commun), de la connaissance de soi (ouverture, acceptation d’une forme de partage du pouvoir) et du temps disponible
  5. Expliciter le cadre auprès de l’équipe dès le début en fonction des points 4 et 5

Enfin, viser la bonne décision est illusoire. Une bonne décision sera déjà bien. C’est celle dont le résultat satisfera le manager au regard des attentes qu’il avait.

Alors il le saura après coup ?  Bien sûr. Toutefois, il le sentira aussi au moment de sa prise de  décision : s’il a consciemment pris sa décision, si elle est sienne et s’il se sent capable d’en répondre au moment où il la prend, quel que soit le résultat face à sa hiérarchie, il y a toutes les chances que ce soit une bonne décision.


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